Jamais, dans toutes les fables que je n’ai pas manqué de me raconter à propos de ce départ vers le Luxembourg et de sa première étape ardennaise, jamais donc je n’aurais imaginé trouver, au détour d’un virage surprenant, dans un hameau de Libramont, un endroit plus surprenant que celui-ci : une pâtisserie digne des films américains les plus mièvres, aux petites tables blanches nappées de dentelle colorée, aux décorations murales de teintes acidulées, aux biscuits, cup cakes et tartelettes alambiquées, posées derrière une comptoir vitré pimpant et diablement appétissant ! Un décor de cinéma, pour sûr, parce qu’ente les maisons en pierres du pays et les secondes résidences trop soignées, ce temple de la gourmandise semble avoir été construit en carton-pâte, pour ne pas durer, pour rire.
Le monde à l’intérieur aussi sort de l’ordinaire. Peut-être pas l’homme, disons le mari, ou le fils, ou le patron. Haut de taille, légèrement enveloppé, pâle, attentif mais immobile, dans la position légèrement penchée des paysans, entre deux besognes, quand ils s’arrêtent et évaluent leurs récoltes, ou parlent aux voisins qui passent. Celui-ci ne parle guère, il regarde. Et quand il sourit, son visage s’éclaire d’une lumière très fraîche, presque séduisante. Il aide, rassure, conseille, la voix douce et les yeux tendres.
Sa femme (sans doute) est au comptoir, habillée comme une fillette, en harmonie parfaite avec le cadre, mais active comme une mégère : elle se trouve à la fois à la table de travail, au comptoir, derrière sa vendeuse et devant son bébé, alors que sa mère (c’est visible) se met sans cesse sur son chemin.
Elle, la mère/grand-mère, a oublié de préparer la chambre qu’ils louent à l’étage et que j’avais justement réservée, avec demande spéciale d’arrivée anticipée et de connexion Internet, pour pouvoir directement travailler. « Mais asseyez-vous, prenez un café et un gâteau ! ». Parfois, on ne se fait pas prier.
Il reste 20 minutes avant le début de mon roulement à distance. Dix d’entre elles passent à savourer la tartelette, vraiment délicieuse, et à me calmer les nerfs : ça va aller ; après tout, si la chambre n’est pas disponible, je peux aussi travailler de la pâtisserie ; et puis, c’est juste au-dessus, ça ne prendra que quelques secondes pour y arriver. En prévision, je demande le nom du réseau, le code. Sur gsm, ça fonctionne, c’est déjà ça.
Et puis la patronne me demande de la suivre, me prévient de la présence d’un chat (longs poils blancs, petit nœud rose autour du cou, regard indifférent et grâce innocente), m’amène dans une chambre décorée à la méditerranéenne : draps fleuris, dalles blanches, pâtisseries emballées et jattes renversées sur leur soucoupe. Une table et des chaises de jardin m’invitent à installer mon attirail de bureau, très vite. Il est 12h58, je commence à 13h. Envoi du message à l’équipe : Bonjour ! Et puis, plus rien.
La connexion ne fonctionne donc pas. Ou pas toujours, ou pas assez.
Appel désespéré à la pâtisserie, visite éclair d’un deuxième homme, inconnu mais gentil, réclamation en direct à Orange, inutile… Le monde s’écroule, mes plans s’effondrent. Et ma réputation ! Et l’équipe ! Et le journal ! Nooooon !
La dame aux vêtements de poupée, que j’ai rejointe alarmée dans la pâtisserie de papier, essaie de m’apaiser, mais elle ne me connaît pas, elle ne sait pas qu’elle a beau y mettre toute sa patience, ça ne fonctionnera pas. Je demande, le plus calmement possible, une solution rapide, elle entend, et trouve : « allez à l’autre hôtel, ils ont un lounge, tout le monde ici y va, quand on a besoin d’une connexion fiable ! »
Et en effet. Une connexion, mais pas que. La gentillesse partout, jusque sur les murs, sur le zinc du bar, entre les tables. Je consomme, bien sûr, mais du thé, de l’eau, trois cubes de fromage, et pourtant ils me demandent tous régulièrement comment je vais, si je parviens à me concentrer, à quelle heure je termine. Par une suspicion inculquée depuis l’enfance, plus que par bruxellianisme, je m’inquiète de leur amabilité, qui doit assurément cacher quelque intérêt second. Mais non.
En fin de service, au moment où je m’écroule sur mon clavier, je rejoins la serveuse et le gardien de nuit qui discutent derrière le bar. Elle étudie les relations publiques, il est pâtissier, père de quatre enfants adultes, dont deux adoptés. Et la conversation, la vraie, cette fois, démarre, s’enfonce dans la nuit, passionnante. Au fil des mots, les clichés s’envolent, même si Libramont est le dernier endroit au monde où j’espérais qu’ils le fassent.
C’est donc ça, cette fameuse ardeur d’avance. Elle promet.
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